Le vendredi 7 février 1986, disparaissait à Dakar au Sénégal, le Pr Cheikh Anta DIOP, savant encyclopédiste de renommée internationale et fondateur de l’École Africaine d’Égyptologie. Il a opéré dès 1954 (alors qu’il n’avait que 31 ans), dans son ouvrage pionnier Nations Nègres et Culture – de l’antiquité nègre égyptienne aux problèmes culturels de l’Afrique Noire d’aujourd’hui, une «rupture épistémologique» décisive dans le champ de l’historiographie mondiale. Ramenées à l’essentiel, les thématiques historiographiques explorées et approfondies par le savant africain sont au nombre de quatre:
1. L’humanité est née en Afrique aux sources du Nil, le seul endroit de la terre où l’on peut suivre sans solution de continuité son évolution depuis le stade des hominidés (Toumaï 7 millions d’années) jusqu’à l’émergence des hommes anatomiquement modernes (Omo I, 200 000 ans). C’est ce qui ressort de l’examen rigoureux des récentes données de la paléontologie humaine, de l’archéologie préhistorique et de la génétique des populations.
2. Les Nubiens et les Égyptiens de l’antiquité auxquels l’humanité entière est redevable de la plus ancienne et la plus accomplie des civilisations de la période historique étaient des Noirs et se sont représentés comme tels sur les monuments qu’ils ont légués à la postérité. Il en résulte que les sciences, les techniques, les lettres, les arts, la religion… sont nés dans la vallée du Nil, berceau de l’humanité et de la civilisation, avant d’être diffusés en Asie, en Europe, en Amérique et dans le reste du monde. L’examen minutieux des sources archéologiques, philologiques et iconographiques disponibles conforte la thèse de l’antériorité des civilisations nègres.
3. L’Egyptien (Ancien Egyptien et Copte) dont les premières attestations écrites remontent au quatrième millénaire avant notre ère, et les langues négro-africaines modernes sont génétiquement apparentés et renvoient à une langue commune prédialectale dénommée « Négro-Egyptien » par le Pr Théophile OBENGA. C’est en vertu de cette parenté linguistique génétique qu’il est légitime de considérer l’Afrique noire contemporaine comme dépositaire exclusive de la totalité du patrimoine préhistorique et historique égypto-nubien.
4. Les études égypto-nubiennes elles-mêmes, loin de conduire à une délectation narcissique du passé, doivent permettre aux nouvelles générations de chercheurs de bâtir un « corps de sciences modernes » ancré dans les humanités classiques africaines. C’est la seule manière au demeurant de réformer en profondeur le système éducatif actuellement en vigueur en Afrique et dont les dysfonctionnements sont patents. C’est également le moyen le plus efficace de poser correctement et de résoudre les problèmes scientifiques, technologiques, culturels, spirituels dans la perspective de l’édification de l’Etat Fédéral d’Afrique Noire et de la concrétisation de la Renaissance Kémite.
Ainsi reliée à la stratégie visionnaire de Marcus GARVEY dont l’actualité brûlante n’est plus à démontrer, l’œuvre du Pr Cheikh Anta DIOP sera à n’en pas douter pour les générations futures la référence scientifique incontournable. C’est à ce titre que la leçon inaugurale du Pr BILOLO (Coordinateur des équipes de recherches de PER ANKH, UNIVERSITÉ KEMITE DU FUTUR) revêt pour nous une importance cruciale puisqu’elle se propose de mettre à nu les prémisses épistémologiques et herméneutiques racistes voire négrophobes de l’égyptologie occidentale dominante que Cheikh Anta DIOP n’a eu de cesse de dénoncer. La censure et l’ostracisme dont le Pr BILOLO a fait l’objet il y a quelques années de la part de l’AIE (Association Internationale des Égyptologues) sont là pour démontrer à quel point les préjugés séculaires sont encore prégnants. A la réflexion, les résistances psychologiques des chercheurs occidentaux s’expliquent aisément par l’importance de l’enjeu, à savoir l’impérieuse nécessité d’une réécriture de la Nouvelle histoire de l’humanité qu’il faudra édifier sur les ruines de l’Orientalisme et de l’Eurocentrisme.
La jeunesse Kémite d’aujourd’hui et de demain devra mener et gagner cette grande bataille des idées et des idéaux dont les générations qui l’ont précédée n’ont pas su prendre toute la mesure. En dépit des initiatives audacieuses et parfois héroïques des précurseurs du Panafricanisme et de la Renaissance Kémite comme Anténor FIRMIN, Bénito SYLVAIN, Henry Sylvester WILLIAMS, Dusé MOHAMMED, Martin DELANY, Robert LOVE, Edward Wilmot BLYDEN…, le continent noir n’a pu échapper à l’engrenage infernal du néocolonialisme et de la dépendance. Cette situation gravissime s’explique certes en partie par l’emprise des puissances occidentales attirées par nos fabuleuses ressources énergétiques et minières, mais aussi et surtout par la complicité de certaines de nos « élites » intellectuelles et politiques.
C’est le lieu de méditer les fortes paroles de Frantz FANON, ardent défenseur de la cause africaine s’il en fût: «Chaque génération doit, dans une relative opacité, découvrir sa mission historique: la remplir ou la trahir!» cf. Les damnés de la terre (voir page).
Faisant écho dès 1960 à cet impératif catégorique, le Pr Cheikh Anta DIOP avertissait ses congénères africains en ces termes sans équivoque: «C’est la conjoncture historique qui oblige notre génération à résoudre dans une perspective heureuse l’ensemble des problèmes vitaux qui se posent à l’Afrique, en particulier le problème culturel. Si elle n’y arrive pas, elle apparaîtra dans l’histoire de l’évolution de notre peuple, comme la génération de démarcation qui n’aura pas été capable d’assurer la survie culturelle, nationale du continent africain; celle qui, par sa cécité politique et intellectuelle, aura commis la faute fatale à notre avenir national: elle aura été la génération indigne par excellence, celle qui n’aura pas été à la hauteur des circonstances.» [cf. Les fondements économiques et culturels d’un État Fédéral d’Afrique Noire.... pg 28].
C’est cette «génération de la démarcation» qui s’est mobilisée pour faire échec au projet visionnaire que feu le Président Kwame N’KRUMAH a exposé devant ses pairs en 1963 lors du fameux sommet constitutif de l’Organisation de l’Unité Africaine (OUA) à Addis-Abeba en Éthiopie. [cf. Africa must unite... pg 30 et suivantes]. Cette génération des pères-fossoyeurs autoproclamés «pères-fondateurs» est même parvenue à occulter les noms des authentiques acteurs de la lutte pour l’indépendance totale de l’Afrique que furent Ruben OUM NYOBE, Robert SOBUKWE, Tom MBOYA, Amilcar CABRAL,Barthélémy BOGANDA, Djibo BAKARI, Edouardo MONDLANE, Outel BONO, Oginga ODINGA, Patrice Emery LUMUMBA, Sylvanus Kwame Epiphanio OLYMPIO…
Nombreux sont les «intellectuels» qui, après avoir milité dans les organisations estudiantines des ex-Métropoles (ex: FEANF), rallièrent par la suite les régimes néocoloniaux dont ils contribuèrent à renforcer les fondations idéologiques [cf. Usher ASSUAN en Côte d'Ivoire, François SENGAT KUO au Cameroun; Edouard KODJO au Togo...].En tirant les leçons des errements et des défaillances du passé, le Mouvement Sema Ta Wy pour l’émancipation du peuple Kémite, appelle la Jeunesse d’aujourd’hui et de demain à intégrer dorénavant dans son parcours, son combat, ses projets, les quatre dimensions suivantes:
1. La dimension du SAVOIR
2. La dimension du SAVOIR-ETRE
3. La dimension du SAVOIR-VIVRE
4. La dimension du SAVOIR-FAIRE
Chapitre 1 LA DIMENSION DU SAVOIR
La situation précaire et marginale du continent noir dans le concert des nations s’explique essentiellement par l’ignorance et l’obscurantisme dans lesquels sont maintenues volontairement ses forces vives et en particulier sa jeunesse. Dès lors, la maîtrise sans faille des sciences et des techniques modernes nous apparaît comme une priorité absolue. Le Pr Cheikh Anta DIOP formulait dès 1973 la recommandation suivante: «On doit dire aux générations qui s’ouvrent à la recherche: armez-vous de science jusqu’aux dents et allez arracher sans ménagement des mains des usurpateurs le bien culturel de l’Afrique dont nous avons été si longtemps frustrés.» [cf. Préface à L’Afrique dans l'Antiquité – Égypte Pharaonique / Afrique Noire de Théophile OBENGA].
La conquête et la réappropriation du patrimoine culturel négro-africain, loin d’évoquer le mythe de Prométhée ne seront effectives que si les Africains prennent la ferme résolution d’enraciner de nouveau la science sur un continent qui peut s’enorgueillir d’avoir une tradition intellectuelle vieille de 20 millénaires. Il s’agit de créer sur place les conditions objectives et subjectives d’une créativité nouvelle, d’une émulation de tous les instants, en un mot une sédimentation du génie humain. C’est à ce prix que l’Afrique peut redevenir un vaste chantier de l’innovation qui sera mis en valeur par les jeunes pionniers Kémites, les architectes du futur et ce pour le bien de l’humanité toute entière.
Chapitre 2 LA DIMENSION DU SAVOIR-ETRE
Pour les Occidentaux, le Noir d’Afrique est un ancien « esclave » qui a accédé au statut plus enviable de « colonisé » par la grâce des « abolitionnistes » (Abbé Grégoire, Victor Schoelcher…), avant de devenir un «sous développé» du fait de son incapacité quasi congénitale à relever les défis postcoloniaux. Un auteur comme FANON avait déjà étudié avec précision les traumatismes et les séquelles résultant de plusieurs siècles de déshumanisation et il a abouti au terme de ses investigations à la conclusion sans appel que l’aliénation culturelle constitue le principal obstacle à son émancipation. Sans la confiance en soi qui naît de la certitude a priori qu’on dispose des mêmes facultés intellectuelles que les autres, rien de grand et de noble ne peut être accompli dans ce bas monde. Or c’est précisément ce sentiment pourtant naturel que l’éducation occidentale s’emploie depuis des siècles à étouffer et à annihiler chez le Noir. De cette confiance en soi découle ensuite l’estime de soi, c’est-à-dire la représentation positive de soi, la perception valorisante de soi. L’estime de soi entraîne ipso facto l’affirmation de soi et partant une projection de soi comme acteur principal et autonome de sa propre destinée.
La difficulté consiste en ceci qu’après que l’histoire du Noir eût été falsifiée, ce dernier ait été devenu amnésique et doute fortement que ses Ancêtres aient pu apporter quoi que ce soit de valable dans la marche de l’humanité vers le progrès et le bien-être. Pour C. A.DIOP, seule la restauration de la conscience historique africaine pourra permettre d’extirper définitivement de notre être le poison mortel de l’aliénation culturelle.
Chapitre 3 LA DIMENSION DU SAVOIR-VIVRE
La caractéristique fondamentale du mal être africain actuel réside dans une crise morale d’une ampleur inégalée jusqu’alors dans notre longue histoire multimillénaire. Cette crise se traduit concrètement par un éclatement de la cellule familiale, une implosion du tissu social, une déliquescence totale des mœurs, un renoncement à l’amour du travail et de l’effort, un goût prononcé pour le luxe ostentatoire et le culte du paraitre exhibitionniste.
Dans cette perspective, on assiste à un renversement des valeurs au détriment des traditions séculaires et du mode de vie proprement africain. L’Africain d’aujourd’hui ressemble à un être hybride qui renonce aux vertus du terroir et s’approprie les travers et les vices des autres peuples. La réforme du système éducatif actuellement en vigueur s’impose comme une nécessité impérieuse. L’étude approfondie du passé égypto-nubien permettra de redécouvrir le code des vertus cardinales de la Maât, concept nodal et opératoire dans le champ de l’éthique ainsi que le souligne avec vigueur le Pr Théophile OBENGA dans [La philosophie africaine de la période pharaonique 2780 – 330 avant notre ère pg 179] : «Les anciens Egyptiens affirmaient l’existence d’un Ordre supérieur, vivant et éternel : Maât soit la Justice-Vérité, c’est-à-dire l’ordre cosmique déifié. Dès lors, la vie intérieure, son approfondissement, sa perfection, sera l’exercice même de l’intelligence. D’où la série de «règles» à observer pour mériter et vivre à jamais la vie des dieux en compagnie des Bienheureux». Ainsi, durant près de 3500 ans d’histoire nationale, l’Égypte Pharaonique (Ta Mery) a conçu un modèle original d’organisation politique, juridique, économique, sociale…en s’inspirant de l’ordre cosmique transcendant (Maât) qui seul permet à l’homme d’être en harmonie avec lui-même, avec les autres hommes issus du corps social, avec les forces cosmiques qui sont autant de vibrations énergétiques issues du Noun. On voit se dessiner les contours d’une philosophie de l’équilibre qui s’inspire des lois qui régissent l’univers lui-même. La philosophie de la Maât s’affirme dès lors comme le modèle référentiel et la source d’inspiration de l’Etat Fédéral d’Afrique Noire que les nouvelles générations ne manqueront pas d’édifier. Sur le plan politique, l’Afrique substituera au modèle occidental et élitiste de la démocratie dite représentative, un modèle qualitativement supérieur, celui de la Maâticratie participative reposant sur les principes de la concertation et du consensus.
Chapitre 4 LA DIMENSION DU SAVOIR-FAIRE
D’après les économistes occidentaux, l’Afrique présenterait un retard significatif en matière de développement, retard dû essentiellement à des causes structurelles. Cette analyse présuppose que les sociétés précapitalistes reposaient sur des structures archaïques reproduisant à l’infini des modèles inadaptés aux défis de la modernité. Dans son essai intitulé The stages of economic growth, Rostow pose comme préalable à la croissance des économies africaines une éradication des traditions qui freinent selon lui le progrès. Ainsi, les politiques préconisées au moment de l’accession des Etats africains à l’ « indépendance » reposaient sur ce paradigme mais ont abouti à un échec. Cet échec sera mis sur le compte des gaspillages budgétaires d’où l’instauration des programmes d’ajustement structurel basés sur une austérité dans les domaines vitaux comme l’éducation, la santé, les infrastructures…Parallèlement, la privatisation des entreprises publiques fut imposée conduisant à l’affaiblissement des Etats en même temps que se renforce le pouvoir des institutions internationales comme le FMI, la BM, les ONG qui se substituent à des Etats défaillants réduits à un rôle de répression des velléités de contestation populaire. On a soutenu qu’en Afrique, compte tenu du culte voué au chef, le parti unique ne serait pas incompatible avec la démocratie. Avec les transformations politiques consécutives aux conférences nationales des années 1990, un nouveau discours a émergé mettant l’accent sur la réduction de la pauvreté. Face à ces évolutions successives, la jeunesse Kémite doit prendre conscience que le concept le plus important est celui de l’auto développement qui doit se substituer aux logiques de développement pensées à partir des référentiels venus de l’extérieur. Le moteur de cet auto développement c’est les paysans, les femmes, la société civile panafricaine qui va défendre le principe nouveau des droits par un mécanisme de contrôle et de vigilance à travers des audits. Il fixera les besoins réels éprouvés par la population africaine qui constitue le déterminant exclusif des politiques des États. La formation ne devra pas être seulement élitiste et exclusivement axée sur les filières théoriques. Il faudra prendre en compte la lutte contre le micro tribalisme et le micro nationalisme car aucun État africain pris isolément ne peut rivaliser avec les grands ensembles sur le plan géostratégique.
L’option panafricaine s’impose comme une solution de survie collective à travers un Etat Fédéral d’Afrique Noire pour des raisons d’homogénéité et à cause des contentieux que nous avons avec l’Afrique du Nord liés à la condition des Noirs dans le monde arabe, l’occupation de nos lieux saints de la vallée du Nil comme le temple d’Amon de Karnak, la déstabilisation des États par des activismes panarabes et radicaux. N’oublions jamais que ce qui est avant tout en jeu, c’est la survie même de la variété humaine mélano africaine sur son continent d’origine si nous ne voulons pas disparaître à l’instar d’autres peuples dont il ne reste plus que des spécimens.
Au terme de cette réflexion approfondie qui aura désormais pour nous valeur de Manifeste, on conviendra que seul un homme africain nouveau, un Kémite dans toute l’acception du terme pourra mener à bien cette mission sacrée conformément au vœu ardent émis par le Pr Cheikh Anta DIOP dans son ouvrage testamentaire Civilisation ou barbarie : «l’Africain qui nous a compris est celui-là qui, après la lecture de nos ouvrages, aura senti naître en lui un autre homme, animé d’une conscience historique, un vrai créateur, un Prométhée porteur d’une nouvelle civilisation et parfaitement conscient de ce que la terre entière doit à son génie ancestral dans tous les domaines de la science, de la culture et de la religion.»
QUE MAAT TRIOMPHE SUR ISEFET POUR LA DURÉE DES TEMPS !
QUE LE RÈGNE D’AMON SUR L’UNIVERS SOIT PERPÉTUEL ET ÉTERNEL !
QUE LA PROTECTION DES NETEROU SUR LE « TROUPEAU DE RE » SOIT PERMANENTE ET DURABLE !
GLOIRE IMMORTELLE AUX ANCÊTRES BIENHEUREUX !
VIVE KEMET (KAMITA), BERCEAU DE L’HUMANITE ET DE LA CIVILISATION, SANCTUAIRE IMPRENABLE DE LA MAAT !
KEMITES DE TOUS LES CONTINENTS UNISSONS-NOUS !
VIVRE LIBRES OU MOURIR !
NOUS VAINCRONS !
LE BUREAU EXÉCUTIF PROVISOIRE.
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